Texte Jean-Jacques Viton
Sylvain Gérard tout en blocs : élan, envol, fugue
Ce n’est pas la ligne continue qui cerne. Ce n’est pas la frontière noire (sombre, obscure) qui délimite pour interdire. Ce n’est pas le contour qui signale puis soudain révèle (le corps, l’intime du corps, le visage, le secret du visage). C’est donc quoi ? Utilisant presque simultanément le fusain – parfois accompagné d’un lavis, mais rarement et comme pour soulager la charge de l’ombre contre laquelle il se bat et avec laquelle il pactise aussi – Sylvain Gérard fabrique brutalement des blocs qui deviennent en eux-mêmes des compte-rendus, des points rendus à l’adversaire (la vie extérieure, le monde) dans un jeu d’adresses, c’est à dire d’interpellations. Alors c’est sombre, c’est enfoui, c’est lourd, c’est imbriqué, c’est compact, c’est fort, c’est rusé, c’est sans appel – on ne casse pas ces procès-là. C’est tout en même temps, le temps du regard immédiat. Mais c’est aussi ouvert, envolé, vite. Pourquoi ? Très simplement, parce que le bloc qui est fait de tout cela, miroite, comme l’anthracite, et parce qu’il révèle, par exemple, une porte sans panneaux ouvrant sur une pièce vide dont la fenêtre sans carreaux donne sur un paysage à jamais saisi dans une trêve douteuse qui n’est pas sans rappeler les situations où l’américain Andrew Wyeth livre dans le silence le plus complet les perceptions angoissantes que sa femme, Christina Olson, a des fermes du Maine alentour. Mais aussi parce que Sylvain Gérard retient, dans son siècle sans horloges, deux visages griffés comme des fossiles, ou encore parce que, dans une muette implosion du blanc, s’envole un insecte indéterminé, ou une femme, ou un homme, dont ce qui pourrait se retenir comme étant des ailes déchirées mais apparues, compose la fugue extrême. Tout cela sans effets spéciaux, dans un grand tumulte calme. Sylvain Gérard avance dans le clandestin et les corps qu’il passe ainsi en transit. ne sont « au bloc » que pour un instant : une martingale de dégradés, une grille de l’espace en abîme leur promettent un départ définitif. Figuratif cela ? Oui. Mais comme peuvent l’être des hiéroglyphes, des pavés de figures. On peut dire des fresques, des saisies de formes qui, comme dans tous les fragments du minéral, suggèrent la trace béante du bouleversement central.
Jean-Jacques Viton.