Texte Frédérique Guétat-Liviani
Il a déposé le temps.
Et pour accompagner la chute des précipités il a tracé leur contour minéral.
Mais il ne suffit pas de savoir il faut connaître.
Connaître la matière première et brutale.
La force des pierres et des branches.
Celle de l’eau et celle des bêtes.
La force des témoins du temps d’avant le temps.
C’est pourquoi il a pratiqué la répétition jusqu’à l’effacement.
En chemin il a beaucoup questionné l’ombre.
L’abolition de la couleur s’est affirmée.
La toile s’est couverte de poudre noire.
Le noir le très noir.
Le sans reflet l’opaque.
Son âpreté son évidence.
Le paysage une fois absorbé la restitution était lente.
Les saisons se sont succédé celui qui désirait voir devait ralentir puis faire halte.
Nombreux sont ceux qui n’ont pas pu voir.
Plongés dans la pénombre il a fallu attendre que nos yeux s’adaptent à l’obscur.
Ensemble nous avons connu l’aveuglement.
Mais lui seul a emprunté le dédale.
Et constaté le seuil de notre cécité.
Au dernier instant de la lumière plus rien n’était assignable au regard.
Avançant à tâtons l’existence matérielle était devenue invérifiable.
Toutes formes impalpables.
Nous avons cru reconnaître ce que nous n’avions pas connu.
Il a rendu le non-lieu pénétrable.
La ligne a fui l’espace s’est contracté.
Et l’oeuvre s’est construite sur le relief anéanti.
Il a redessiné l’attente.
Celui qui ne sait pas glisser dans la ténèbre jusqu’à s’y fondre ne verra rien de plus.
S’asseoir dans le sombre c’est tout un art.
S’asseoir et guetter le retour des dieux et des singes des ânesses et des anges.
Car l’absence est divine et le vide immense.
Autour du trou la construction est nécessaire.
Ça demande un travail énorme une vie entière.
Ses nuits sont devenues de plus en plus blanches et le noir sans possible.
Toujours ivre de gris jusqu’à l’égarement.
Nouveau-né d’avant la distinction des couleurs.
Lui au centre de la toile enfant au-delà du temps.
Faisant tourner la roue.
Une fois encore.
31 janvier 2014
pour Sylvain Gérard (22 août 1965-19 octobre 2013)